3 juin 2010

"Nous n'avons pas d'autre choix"


La semaine dernière, vendredi matin. Entre les tentes et les provisions, nos sacs entassés dans le coffre de la jeep s'entrechoquent à chaque tournant. Discussions entre copains sur la route de Galilée, nous remontons la route 90 à travers les territoires palestiniens. Trois heures pour refaire le monde sans parvenir à nous défaire de cette impression d'avancer tel un état funambule, seul à l'heure de tous les dangers.

Au croisement après le checkpoint, un vendeur de pastèques gesticule sur le bord de la route. Cinq pour 20 shekel (4.5€), on en stocke toute une cargaison. L'air conditionné les maintient fraiches pendant que nous descendons vers l'entrée des sources du mont Tabor. Nous poursuivons encore vers le nord, traversons les collines à travers champs à la recherche d'un bosquet d'eucalyptus indiqué sur la carte, et dépassons les villages arabes au loin, dont les gamins mordus de foot trépignent déjà d'impatience en attendant la diffusion du Mondial. Les toits sont couverts de drapeaux, à chaque maison un pays. Les mollets lacérés par les épines des chardons, nous nous frayons ensuite un chemin vers les restes du ruisseau déjà tari, parmi les cactus et autres piquantes créatures végétales sur les collines asséchées.

Toutes les photos sont d'Ido, mon appareil ayant rendu l'âme quelque part sur la route vers Nahal Amud. 
Pour les voir en grand, il faut cliquer!

Dans un champ de paille coupée, nous organisons un campement, allumons un feu, protégé par une muraille de pierre plates pour contenir ses étincelles. La voix lactée éclaire la nuit noire alors que nos légumes finissent leur cuisson sous les braises, bercés par les grincements des arbres qui s'effleurent et se frottent de leurs branches feuillues. La forêt palabre. Au petit matin, Ido grille nos tomates cuites par le soleil dans une chakchouka au goût fumé pendant que j'avale sous un cèdre un bouquin de Murakami. "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" - on ne saurait trouver plus adapté à notre situation...

La radio parle d'une flottille internationale en route pour Gaza, nous y prêtons à peine attention tandis que nous longeons le lac de Tibériade pour accéder au Golan et ses cascades d'eau pure. Entrés sur la réserve de Yehudiya, nous rencontrons un caméléon peu farouche, et une végétation luxuriante, aux antipodes de la désolation désertique de la veille. Lors du retour vers Jérusalem, la conversation reprend sur les mêmes sujets.

- "Le moment venu, nous ne pourrons compter que sur nous même."
- "Nous n'avons pas d'autre choix, nous devrons être plus forts."
- "Et surement essayer d'être plus justes, aussi..."

Une semaine a passé. Si la perspective d'une guerre s'éloigne avec les jours qui passent, la crise ne fait que commencer. Les décisions du gouvernement et de l'armée sont loin d'être toutes justifiables, certaines furent même inconsidérées. Il eut fallu que les choses se déroulent différemment, mais prétendre que le bateau turc transportait des humanitaires pacifistes est une vaste tartufferie. Le Hamas peut se gausser, son plan aura bien fonctionné. Voici la seule démocratie de notre région de nouveau accusée, jetée à la vindicte populaire. Le pire des scénarios, comme souvent, est réalisé.


14 commentaires:

Justin a dit…

Je vis pas là où tu vis et je m'y connais surement beaucoup moins bien que toi. De notre coté j'ai l'impression que le blocus que vous imposez est juste stupide et inutile. Vous avez le droit de vous défendre c'est certain mais je ne vois pas qu'emprisonner Gaza fasse autre chose que de renforcer les terroristes et vous isoler. Et puis je crois que l'idée que vous etes tous seuls est exagerée puisque le Canada vous soutient et que tous les pays d'Europe viendrait quand même a votre secours si l'Iran vous attaquait. Tu crois pas?

Perle a dit…

Justin, nos voisins ne sont ni la Suisse, ni la Belgique, ni le Luxembourg. Le blocus est inefficace, c'est démontré, mais il n'a pas été décrété pour rien.

Le Hamas est un mouvement terroriste responsable de la mort de centaines de civils dans des attentats, qui refuse l'existence même d'Israel. Il s'applique depuis 2006 à lancer quotidiennement des roquettes sur le sud du pays, et retient depuis 4 ans Gilad Shalit en hotage après l'avoir kidnappé en territoire israélien.

Effectivement, les tunnels continuent d'approvisionner en roquettes et en vivres la bande de Gaza, et effectivement, l'inutilité du blocus en est démontrée, et par là sa contre-productivité. Cette stratégie a échoué, il faut en trouver une autre, mais la sécurité de nos citoyens sera toujours la priorité.

Pour ce qui est de l'isolement, je crois que tu te trompes. Le problème n'est pas militaire (je pense que nous nous passerons de l'Europe) mais diplomatique. Les alliances régionales sont très mouvantes, et dans la perspective d'un conflit, je ne pense pas que beaucoup se presseraient pour nous soutenir.

Justin a dit…

Ouais... Enfin attaquer en pleine mer un bateau rempli de journalistes, d'humanitaires et d'une poignée d'activistes turques violents est débile. Les gens en Israel, ils en disent quoi?

Zoe a dit…

Vous êtes certes très isolés mais peut être que vous devriez vous en prendre un peu à vous même! Vos dirigeants vous emmènent droit au mur!

Anonyme a dit…

Très sympa ce blog! Si je peux ajouter mon grain de sel, je pense que finalement une guerre régionale n'est pas une si mauvaise perspective puisqu'elle va quand même contribuer à secouer le proche-orient et dégager au moins des groupes clairs qui n'auront plus d'autre choix que de négocier entre eux!

Perle a dit…

@ Justin: je ne dis pas autre chose, c'était profondément stupide, le désastre médiatique était annoncé! Pour ce qui est de l'opinion, elle est très partagée face au gouvernement tout en faisant globalement bloc derrière l'armée. Si tu veux une bouchée de points de vues locaux, je te conseille de lire Haaretz en anglais sur internet ces jours-ci.

@ Zoé: nous sommes peut être arrogants, surement impatients, et pas forcément futés ces derniers temps! Mais je crois que l'isolation à laquelle nous faisons face est un processus beaucoup plus complexe et sur le long terme que vous ne semblez le suggérer.

Béjaïa a dit…

Les sionistes ont encore une fois agis comme des criminels (a leur habitude) et rien ne changera ca! Vous avez beau écrire des jolis mots sur votre vie dans la Palestine occupé votre morale est de sang! Vous massacrez et affamez des innocent! Boycott!

Justin a dit…

Perlinpinpin c'est animé ton blog cet aprèm! Je sais plus trop quoi penser. D'après Le Monde les soldats ont été violemment attaqués mais hier ils disaient qu'il y avait pas d'armes à bord. Tu penses quoi de la demande d'une commission d'enquête internaitonale?

Shmoulki a dit…

@Bejaia

Par des petits fragments de la vie de tous les jours, ce blog retranscrit a la perfection la vie, les gens, la géographie et les mentalités de cette région.
S'en imprégner permet déjà aux gens qui n'y vivent pas d'aiguiser leur perception.

Est-il vraiment possible de saisir chaque mouvement sur l'échiquier politique (et juger!) sans savoir de quoi il retourne ?

Les gens réellement soucieux de comprendre les évènements au proche-orient se doivent de pousser leurs recherches un peu plus loin que les gros titres racoleurs du JT et de la presse.

Merci Perle pour ta plume limpide et la jolie transparence de tes propos.

Alban a dit…

Salut! Je lis ton blog régulièrement sur Wikio! Les photos de ce post sont super alors au risque d'etre hors sujet je me demandes quel apareil a ton pote Ido? Voila je me demandais comment c'est d'être un jeune israélien et j'ai l'impression de mieux comprendre en te lisant. Tu te demandes des fois comment c'est d'être un jeune palestinien?

Zoe a dit…

La force de votre engagement est très perceptible dans cet article et vos réponses aux commentaires. J'ai l'impression que vous (les israéliens) vous identifiez tellement fort avec votre pays que vous vivez l'actualité a la première personne.

Manuel a dit…

Bonjour Perle, merci pour ce très joli billet qui m'a ramené quelques semaines en arrière... Le pays me manque déjà!
Quand je me rends en Israël, j'ai parfois un sentiment s'isolement et de pression, surtout quand je roule de Nahariya jusqu'à Beit Shean, en imaginant le Golan et la Syrie sur ma gauche. Mais l'européen a du mal à se rendre compte de ce genre de sentiments...

Manuel a dit…

Je suis français, mais mon amour pour Israël a quelque chose de charnel. Alors, oui première personne.

Perle a dit…

Manuel, bienvenue sur ce blog! :)

@ Zoe: je pense qu'en effet vous touchez à quelque chose d'assez juste. Je ne crois pas que c'est vraiment que nous nous identifions à ce pays, plutôt que nous y vivons et nous le faisons vivre par notre présence. Comme si le simple fait d'exister était déjà une prise de position...