18 avr. 2011

"Pessah' Sameah'"


Le printemps est là, il fait déjà chaud comme en été. Sous un ciel bleu pâle, la ville et ses bâtiments de pierre beige se fondent dans la fumée. Jérusalem brûle son pain. Les cendres des brasiers installés dans les quartiers virevoltent et s'éparpillent dans un vent léger qui porte l'odeur des glycines en fleurs. Les familles s'y pressent, se débarrassent des derniers restes de "h'ametz" - de pain levé - dont la consommation est interdite durant les huits jours à venir. 
  
 
Sur le chemin de ma base, le bus peine dans les embouteillages de la rue Agrippas. Les voitures se serrent, se cognent et klaxonnent pour se frayer un chemin parmi les piétons qui dépassent des trottoirs sur la route, chargés de provisions pour le repas de fête. Dans les allées du shouk Makhane Yehuda, les retardataires s'arrachent les cartons de matsa - des galettes azymes qui remplaceront le pain  pour toute la durée de la fête de Pessah'. Les enfants chantent des comptines saisonnières, profitent des premières sorties de vacances à la plage et goûtent aux douceurs mielleuses que les marchands écoulent avant le soir. Les cabas se poussent, la foule se meut d'un seul rythme, comme une vague sans cesse tirée dans milles directions, accaparée par les harangues des vendeurs de macarons au coco, les presseurs de fruits affairés et les derniers vendeurs d'épices ouverts. 
 
Les temps ne sont pas doux. Les journaux de ce matin affichent en première page les photos des meurtriers de l'attentat d'Itamar et celle d'un adolescent, fauché la semaine dernière par un missile anti-tank tiré sur un bus scolaire à proximité de Gaza, qui a succombé hier à ses blessures. Et pourtant, l'heure est aux préparatifs de fête, la ville toute entière semble s'y investir, absorbée dans ses achats frénétiques avant la fermeture des commerces à la tombée de la nuit. Hier les chrétiens de Jérusalem célébraient déjà Pâques, en cortège, ils descendaient les monts de la ville arabe, chargés de rameaux (je vous le racontais l'an dernier), vers les ruelles tortueuses de la vieille ville et leurs myriades d'églises. 
 
Nous sommes de garde pour les premiers jours de fête. Comme un jour de Noël, nous avons arraché fébrilement le scotch, défait le papier, et enfin éventré le carton envoyé à notre intention par les autorités rabbiniques militaires. L'histoire de Pessah' se lit selon un ordre prédéfini, autour d'un plateau de repas symbolique. Nous extirpons les bouteilles de jus de raisin pour les quatre coupes de "vin" qui rythmeront le récit, de la matsa, du gros sel, du h'aroset - un mélange de pommes, de noix et de raisins, un oeuf dur... 
 
Un lien téléphonique met en contact toutes les unités, la voix l'officier supérieur en charge de notre corps d'armée nous parvient, distante: "Soldats, sur terre ou mer, Pessah' Sameah' - joyeuses fêtes à tous!". Les envoyés au Sud parlent en premier, un peu saccadés, suivis par les autres de Tel Aviv et d'ailleurs. On rit de tous s'entendre avant que la ligne ne coupe. Dehors le vent tombe et avec lui s'effacent les odeurs de feu de bois et de grillades. Le Centre des Soldats Seuls nous a déposé un repas de fête, il n'y a plus qu'à le laisser doucement réchauffer... La pénombre s'épaissit, il fait bon soudain. Ce soir, les familles juives du monde entier revivront selon leur fuseau horaire l'histoire de la sortie d'Egypte. 
 
A vous tous, en Israël ou ailleurs, joyeuses fêtes de Pessah', et de Pâques!