27 nov. 2011

Sigd: "pour remercier"

  
Jeudi dernier, la communauté éthiopienne en Israël célèbrait son festival annuel, Sigd. Une fête peu à peu intégrée par le public israélien, et dont le nom signifie "rassemblement" en Ge'ez. Cette langue sémitique, ancêtre des dialectes d'Ethiopie et d'Erythrée, reste centrale à la liturgie religieuse de la communauté des Beta Israël. Dans les contrées reculées des hauts-plateaux d'Ethiopie, les sages religieux appelaient le peuple à se rassembler lors de pèlerinages annuels d'ampleurs bibliques afin de ressouder la communauté, de réaffirmer sa foi et son espoir d'un retour à Sion.

Sous les nuages d'un mois de novembre froid et couvert, les familles se pressaient vers la promenade du mont Sion et les faubourgs d'Abu Tor, pour y remercier le ciel et l'état, face à la vieille ville en contre-jour. Parés de turbans blancs, les hommes poussaient les garçonnets vers les premiers rangs où les sages assemblés sous leurs ombrelles colorées dirigeaient les chants de la foule. Avec une infinie précaution, ils sortaient alors de leurs tissus protecteurs les livres rescapés du périple et s'absorbaient entièrement dans une prière psalmodiée. 

Certain portent aujourd'hui encore les traces de l'épreuve surmontée pour réaliser la promesse millénaire du retour à Jérusalem. Cicatrices, tatouages, scarifications, et un regard d'une tristesse infinie. Ils ont fui à pied leurs terres arides, traversé le désert pour rejoindre les camps de réfugiés du Soudan. Mélangés à des milliers d'Africains rescapés des pays frappés par la grande famine, ils ont perdu presque la moitié des leurs avant d'enfin arriver en Israël grâce aux opérations aériennes en 1984 et 1991

Entre les bruissement des feuilles, montaient des psaumes en Amharique, repris par les femmes regroupées, et parées de châles colorés. Héroïque mais loin d'être idyllique, l'immigration de la communauté juive d'Ethiopie représente encore un défi à bien des égards. Ses ainés ont peiné à s'intégrer, victimes de discriminations et désorientés par les codes d'une société occidentale jusqu'ici inconnus. Ses jeunes, au sortir de l'armée, gagnent peu à peu leur bataille. Leur culture s'est popularisée avec le projet musical d'Idan Raichel (je vous en parlais ), et peu à peu, des stylistes à peine diplômés intègrent leur héritages dans des collections "ethniques", remarquées des boutiques branchées de Tel Aviv. Et toujours, les taux de délinquance sont au plus haut dans les quartiers pauvres des villes de développement de la périphérie, tandis que les structures familiales traditionnelles s'effritent. Mais ils sont vivants, et à Jérusalem, alors chacun se congratule et prie. 


 

Dans la foule, je recroise Noah, perdue de vue depuis nos débuts militaires. Avec ses parents et ses frères, elle me raconte ses premières années dans les camps d'Ethiopie, et leur arrivée dans les faubourgs d'Ashdod. Ils ne sont pas religieux, mais ils sont venus, "pour remercier". La coupole dorée du Dôme du Rocher scintille entre les nuages, ils contemplent le paysage. Devant eux, la "forêt de la paix", et à droite les quartiers arabes de l'Est. Sur la crête des collines, la béton de la barrière de sécurité se fond dans la grisaille. 

 
L'histoire de Yaakov Fereda, à droite, est à lire sur le site de Tsahal en Français,
Pour voir toutes les photos en plus grand, il faut cliquer sur l'une d'entre elles.

La discussion s'amorce, avec des soldats libérés par leurs unités pour l'occasion. C'est un avantage immédiat de l'uniforme, qui nous unit évidemment, et ils m'entraînent à travers la foule pour y prendre quelques photos ou me montrer fièrement les grades des officiers de la communauté. Sur un banc, quatre hommes nous observent. "Les soldats dans les avions portaient le même uniforme que vous. Nos enfants eux-mêmes sont entrés à l'armée. Leurs vies seront plus simples, c'est notre réussite." Les problèmes ici ne manquent pas, mais voilà effectivement de quoi célébrer.