31 mars 2012

"Voir Jérusalem..."

 
Ce sont ces moments - alors que l'oeil s'habitue doucement à l'obscurité pour entrevoir les contours abscons d'une base perchée dans les reliefs, alors que l'humidité se lève à peine et que le froid perce la toile verte des uniformes, quand un soleil encore blafard annonce que l'aube succède à la nuit. A bord un bus bringuebalant qui soupire entre les virages serrés et fonce dans le matin balbutiant, qui nous entraîne toujours plus au nord, dans un demi-sommeil secoué par une route caillouteuse. Au contact froid d'un stylo dans la poche des gilets-terrain ou d'une caméra, ou d'un casque. Je rêve de voyages improbables. 

"Je voudrais voir Beyrouth..."

Et dans les yeux de certains pétille à cet aveu l'envie similaire, de découvrir le Caire sans sur chaque pas se retourner, d'enfin voir cette Téhéran au jasmin entêtant, de pénétrer dans Sana'a rougeoyante au levant. "Tu peux, non? Avec ton passeport français!" - mon sésame ne suffira pas. Non, je veux voir cette ville sans me cacher, vivre des discussions enflammées de géopolitique et de situations figées, gouter des pâtisseries au miel à l'Ouest de Beyrouth, rencontrer les Libanaises aux décolletés provocants à l'Est, et parler avec celles voilées jusqu'aux ongles au Sud. 

"Metulla! Dernier arrêt!"


C'est la Journée de la terre, nous sommes vendredi. Tsahal est en alerte, pas question de risquer de laisser le scénario des infiltrations du Jour de la Nakba en mai dernier se reproduire. Devant nous, quelques derniers mètres d'une zone militaire fermée le long de la Ligne Bleue et de l'autre coté de la frontière, le Liban. Un hélicoptère blanc de la FINUL survole la zone, ses vrombissements se mêlent à l'appel à la prière d'un muezzin... Tout est calme. 

Pour tromper l'attente, on grignote des fruits secs, avant de contempler les survols d'oiseaux migrateurs vers l'Europe. Ils sont en retard pour le printemps. On parle de films, de livres. "Tu as vu Valse avec Bashir?" Je me rappelle la séance d'un MK2 parisien, sa musique singulière, l'atmosphère feutrée puis apocalyptique, la culpabilité brûlante. On parle de guerre, de peurs profondes et d'absurdité. Devant nous, le Liban affiche son calme déroutant. Les émeutiers sont retenus à Beaufort par l'armée régulière libanaise. "Et Séparation, vous avez vu?" L'oscar iranien est un phénomène en Israël, il est toujours projeté dans une salle branchée de Jérusalem, en version originale.

Un pacifiste s'est photographié il y a quelques semaines avec sa fille sur un toit de Tel Aviv. Son affiche et un message simpliste mais fédérateur ("We love you Iranians. We will never bomb your country") ont enflammé la blogosphère israélienne. L'an prochain, nous ne serons plus soldats. On fantasme soudain de revenir à la frontière, avec des panneaux à l'attention des masses arabes. "Tout simple, 'peace', et on amène des centaines d'étudiants de Tel Aviv. Et à la place des soldats, ils voient des Israéliens qui veulent la paix!" On y croit pas du tout. Mais quand même, tout est possible en Orient répètent nos commentateurs les plus pessimistes. Alors pourquoi pas en bien aussi?

A la frontière syrienne, les hauteurs du mont Hermon enneigé se perdent dans une brume peu saisonnière, et tout est calme aussi. Certains commentent déjà la situation comme preuve de l'essoufflement du régime syrien. Reste qu'à Dera'a, à quelques kilomètres à peine, le pouvoir tue. Postés de notre coté face à la barrière renforcée depuis les incidents de l'an dernier, les observateurs de la Croix Rouge n'ont pas ici grande utilité.

 A gauche, Israël et le village druze de Maj'd El Shams. A droite, la zone tampon controllée par la FNUOD - une force d'observations de l'ONU - et derrière, la Syrie. 


Des forces de la police militaires sont déployées face aux positions de l'ONU, d'où les émeutiers s'étaient jetés sur la frontière l'an dernier. Dans les territoires, la manifestation à Qalandia puis à Bethléem s'est transformée en émeute. A Gaza, la foule haranguée par les prêcheurs du Jihad Islamique et contenue par le Hamas s'est ruée sur le point de passage d'Erez. Ici, de façon presque irréelle, tout est silencieux. Les Palestiniens de Syrie ne sont pas venus à l'assaut de Jérusalem.

La conversation se noue avec les soldats, engoncés dans leurs tenues protectrices. "Ils sont manipulés c'est certain, mais quelque part il faut arriver à les comprendre. Ils pensent vraiment qu'ils prendront Jérusalem." Menace collective face à la tragédie individuelle. Voir Jérusalem et mourir? Plus tard, le même dilemne fera face de nouveau en évoquant sur la route du retour les colons évacués de Gaza. En attendant, rien ne trouble les jeux des gamins druzes, montés à l'assaut de l'immeuble en construction où les soldats ont pris position...


16 mars 2012

"Tseva Adom - Alerte rouge"

 
Une sirène s'élève de Jérusalem, se faufile entre les murs de pierre, perdue parmi les bruits du vent et le frissonnement des feuilles. Rien à voir avec celles qui ont rythmé cette semaine, celle-ci annonce le début du weel-end... Shabbat, enfin. Dans la maison, les bouillonnements d'une confiture de kumquat et clémentines du jardin troublent à peine la pureté d'une cantate de Bach. Les odeurs assidulées se mèlent aux relents suaves d'un gateau au chocolat cuit, faute de four, à petit feu dans une casserole en fonte. 

Rien ne laisse plus paraître le branle-bas-de-combat de cette semaine mouvementée... L'ordre de mobilisation des garçons collé à la boîte aux lettres dimanche matin, les nuits sans sommeil de Yana coincée avec sa famille sous les roquettes à Ashdod, et mes passages en coup de vent dans une maison désertée avant un bus en partance pour le sud. Vendredi dernier, c'était Pourim à Jérusalem, les restes des costumes trainent encore dans le salon. Samedi, c'était presque la guerre. Presque, pour cette fois. 

Entre les dunes de sable du Négev et les monts caillouteux, le désert israélien est en fleur et partout les ruisseaux exhalent l'eau des pluies de cet hiver exceptionnellement frais. Les rayons d'un soleil blafard jouent entre les reliefs et les giboulées. En début de semaine, je rumine la soudaineté de la tourmente régionale qui semble nous emporter, dans un bus blindé. La situation s'est brutalement détériorée samedi après un l'élimination de la tête d'une des factions armées de Gaza, les roquettes pleuvent sur le sud du pays. La nature me saisit de sa beauté sauvage et de sa réalité brute. 

Aux abords d'une des batteries du système Dôme de Fer déployé pour protéger les villes des tirs, une soldate me propose lundi des "Oreilles d'Aman" dans une boîte en plastique embarquée de la cuisine de ses parents alors que l'armée rappelait ses forces actives au milieu du week-end. Les petits biscuits triangulaires sont traditionnels de la fête de Pourim, censés représenter les membres du méchant vizir perse qui rêvait d'annihiler les Juifs du royaume. "Toute ressemblance avec des éléments du réel serait totalement fortuite" glisse-t-elle, alors qu'à l'activation des sirènes nous nous réfugions dans un carré de béton armé posé sur la colline. 

On n'en voit plus la fin. Depuis mercredi, le cessez-le-feu en vigueur n'empêche pas les tirs de continuer à petit feu. Cet après-midi, goûter de la coloc réunie à Jérusalem, sur la table humide du jardin entre les passages pluvieux. On rit de bon coeur des mésaventures de Yana surprise par une alerte et dégoulinante de shampoing dans sa fuite vers l'abri... Ce blog vous promettait le quotidien presque normal de ce pays fou. Si bizarre que cela puisse paraître, je ne voudrais être nulle part ailleurs.

2 mars 2012

"Jérusalem c'est l'Europe!"

 
"C'est comme de la pluie en slow-motion!"

Yam découvre la neige pour la première fois et toute la colocation accourt à la porte dès l'aube, réveillée en sursaut par ses cris émerveillés. Tant annoncée ces dernières semaines, nous avions fini par ne plus y croire. En Israël, la neige fait partie des nouvelles qui ouvrent les informations - avant l'Iran, les massacres en Syrie et les scandales locaux. Sur la radio militaire hier, la voix grave du présentateur semblait trahir une excitation enfantine. Il neige! 

Jérusalem semble suspendue entre terre et nuages, vide, entièrement absorbée par la magie hivernale. Et nous, arpentant la vieille ville, trempés mais trop joyeux, la découvrons transformée pour quelques heures en un Montréal oriental. Un post tout en images...


Dans le quartier juif de la vieille ville, le silence est enfin troublé par les hurlements de joies des gamins au sortir d'une yeshiva.

 
Devant le mur des lamentations, tout est vide jusqu'à l'arrivée d'un groupe d'ados religieux d'une académie pré-militaire, trop heureux de pouvoir jouer dans les quelques centimètres de poudreuse pour prêter attention à la solennité du lieu... et bientôt vertement tancés par un orthodoxe chapeauté! 

  
  
Aperçu ce matin dans le shouk de la vieille ville de Jérusalem: Dark Vador sous les flocons

De retour dans la ville moderne, les enfants hiérosolymitains ont investi les parcs recouverts d'une fine couche de neige blanche qui craque et croustille sous leurs pas. Un môme dévale bientôt une pente en luge et hurle: "Jérusalem, c'est l'Europe!"