26 déc. 2009

"Beit Shean - 164 km"


25 décembre! C'est Noel, la radio l'annonce parmi les nouvelles du jour... Nous passons le checkpoint de la sortie de Jérusalem, avant de foncer sur le fameux "Kvish haBika'a", le chemin le plus court vers Beit Shean - mais pas le plus sûr. Ouverte aux véhicules de l'autorité palestinienne, la route plonge depuis Jérusalem sous le niveau de la mer, traverse la vallée du Jourdain par les territoires, perce à travers les collines arides de Judée, contourne Jericho, longe la Mer morte, évite Ramallah, trace son sillon entre les implantations et creuse un passage direct vers le nord le long de la frontière jordanienne.

En pointillés, la ligne verte qui délimite entre Israel tel que reconnu par l'ONU et les territoires palestiniens. En trait plein, la ligne frontalière avec la Jordanie dont la capitale, Amman, n'est qu'à 30km de Jérusalem. En bleu, le "Kvish haBika'a" (littéralement, route de la vallée) qui perce à travers les territoires, de Jérusalem à Beit Shean.

"Dans les années 70-80, c'est ici que je faisais mes périodes de réserves avec Avi, on avait une base quelque part par là-bas et on patrouillait la frontière encore chaude avec la Jordanie..."

Mon papa est en Israel depuis une bonne semaine et pointe un amas de dunes qui dissimule un filet d'eau dans sa vallée encaissée. Lolo nous attend au kibbutz de Ein Anatsiv. Pendant ses premiers temps dans le pays en 1973, puis durant l'armée, elle et son mari furent comme des parents adoptifs.

Un havre de paix. Passé la palissade qui enserre les maisons et les champs d'Ein Anatsiv, tout n'est que calme, fleurs, palmeraies et pelouses. Le voilà, l'héritage fameux des glorieux temps du collectivisme. Des champs, une cafétéria collective, et la maison des enfants, devenue celle des vieux. Le kibbutz s'éveille chaque shabbat et accueille ses enfants prodigues, partis à la ville faire leur chemin dans un monde aux antipodes du socialisme de leur enfance.

"En 1949, ils étaient tout pétris d'idéalisme. On leur a demandé de se mettre là pour défendre les communautés de Sde Eliyahu et Tirat Zvi, et ils se sont installés ici..."

La première histoire que me raconte Lolo, c'est celle de Zeev, qui s'échappa de Hambourg sur le dernier bateau forçant le blocus anglais sur la Palestine mandataire, en 1938. Un jeune sioniste, débarqué à 15 ans à Tel Aviv, religieux mais rêveur, utopiste presque! Il abandonne sa famille et un destin plus intellectuel pour se plonger dans l'agriculture. Alors que l'indépendance se précise et que le péril monte, on décide de renforcer les implantations voisines trop proches de la Cisjordanie¹: il fait alors partie du noyau des fondateurs du kibbutz, en 1949. Ces récits tissent d'un fil souvent froissé par l'Histoire une trame complexe sur laquelle sont brodées les mémoires de chacun de ces gens, arrachés à l'ancien monde, arrivés ici par les hasards cruels du destin. Ils y ont vécu, et bâti. Depuis quelques mois, Zeev repose sous l'un des arbres du kibbutz.

Et, elle, alors? Résistante, à la fois Française et Allemande mais déchue des deux nationalités de par sa condition juive, clandestine à Strasbourg durant la Guerre, arrêtée par les SS et miraculeusement relâchée. Elle raconte encore son premier voyage en paquebot vers Israel en 1956, à la recherche de petites filles exfiltrées vers la Palestine par ses soins sous l'occupation, qu'elle retrouve à Ein Anatsiv. Ce jeune kibbutznik², qui la séduit immédiatement, à qui elle adresse des lettres passionnées sans savoir dans quelle langue lui écrire, lui qui ne parle plus l'Allemand et ignore le Français. Elle raconte son arrivée, enfin, et son installation avec Zeev, quelques mois avant le terrible début de la guerre des 6 jours³. Alors qu'elle vit dans la terreur, le kibbutz pourtant entièrement mobilisé, ne déroge pas à son rythme pastoral.

Mais déjà arrive la nuit, il nous faut nous arracher à ce lieu où le temps semble arrêté, pour rentrer à Jérusalem. Pendant que la radio égraine la longue liste de pseudo-catastrophes du weekend, l'esprit s'égare... Ce pays est sorti de terre et puis s'est transformé, métamorphosé, remodelé, révolutionné, transfiguré en 60 ans d'existence.

1. Cisjordanie - jusqu'en 1967, la Jordanie occupait la Cisjordanie, aujourd'hui amenée à former le gros du futur état Palestinien. La ligne d'armistice, très chaude, était la fameuse Ligne Verte...
2. Kibbutznik - habitant d'un kibbutz.
3. Guerre des 6 jours - la guerre de l'été 1967 qui opposa Israel aux armées de la coalition de la Ligue Arabe (Egypte, Jordanie, Syrie, Irak) et vit la défaite complète de ces armées face à Tsahal qui conquit alors le Sinaï, la Cisjordanie, Gaza, le Golan et Jérusalem Est.

9 déc. 2009

"Une année sans grève ni guerre"



"Bip Bip Biiiiiiiiiiiiiip Galei Tsahal il est 6 heures et voici les nouvelles..."

La radio berce le branle-bas de combat matinal des résidences. Selon les appartements, la voix des informations résonne en Arabe ou en Hébreu et les échos se mélangent dans la brise matinale. L'air est déjà frais à Jérusalem, les arbres encore feuillus frissonent sous le ciel nuageux. Passage en coup de vent par la boite aux lettres.

Les lettres de l'armée sont ici partie évidente du courrier quotidien, jetées pèle-mèle avec les publicités du supermarché local et les factures de l'université. Elles ont un côté mystérieux, un peu énigmatique. Impossible en arrachant le rabas de supprimer un zeste d'excitation - ou peut-être un peu d'appréhension...

"Oh non! Deux semaines?! Et c'est pendant la période des examens!"

Je vois mon voisin pester, prêt à réduire en miette son enveloppe beige. Rien de bien étonnant, ce genre de missive vous plombe la journée, au même titre qu'un rappel d'impôt. C'est un ordre de "miluim", une mobilisation. Tout citoyen est susceptible d'être rappelé sous les drapeaux dans les corps de réserve, déployé chaque année jusqu'à un mois et personne ne songerait à s'y soustraire, notamment pas les combattants, mais les cours continuent, eux! Et cet officier est bien plus préoccupé par les propriétés réactives du methylcyclopentane que par l'état de ses troupes.

La fac aménage, adapte, organise pour faciliter la vie des réservistes. Dans une certaine mesure. Dans son discours de début d'année, le doyen nous souhaitait d'ailleurs "une année sans grève ni guerre" et savait quelque chose du sujet. En janvier dernier, la proportion d'étudiants mobilisés durant l'opération Plomb Durci était telle que la plupart des facultés du pays s'étaient résolues à suspendre l'année scolaire.

Mes lettres militaires arrivent pour l'instant dans une enveloppe blanche marquée du sempiternel sceau triangulaire et émanent du Lishkat Giyus - le centre de recrutement - de Jérusalem.

La lettre de Tsahal du jour me demande de choisir une position ou d'indiquer une préférence pour un des corps d'armée. Renseignements? Marine? Support médical? Génie militaire? Et tout ça, quand exactement? J'en discute avec un copain dépité d'avoir recu lui une enveloppe beige, alors que son service obligatoire ne s'est fini qu'en juillet. Il est prêt à remuer ciel et terre pourvu qu'on le laisse étudier en paix. A l'ouverture, surprise!

"Cher soldat, l'armée sait que tu n'a pas de famille dans le pays, et tient donc à te souhaiter un joyeux anniversaire"

Pas de trace du papier de mobilisation. N'y croyant pas, il vérifie encore puis hausse les épaules vraisemblablement dérouté. Rien que ce petit mot sur un morceau de feuille découpé. Personne ici n'y croira si on le raconte, mais finalement, ces lettres sont parfois porteuses de bonnes surprises...