26 juin 2010

"Ils reviendront vers leurs frontières"


Accablés par une chaleur caniculaire, les étudiants de l'Université Hébraïque se trainaient cette semaine d'un bus aéré à une bibliothèque conditionnée, en minimisant surtout le temps passé au dehors. Sous la douce caresse d'un vent estival, la ville retrouve enfin la fraîcheur de ses nuits. Jeudi soir, en contrebas des murailles grises de la vieille ville, on se presse dans l'antique bassin du Sultan entre les gradins, petit pull à la main pour les plus prévoyants, ou depuis les balcons de l'église qui nous surplombe, pour quelques nones mélomanes. Sous les cieux étoilés, s'élève le chant rauque d'une flute orientale. L'hyperpopulaire Projet Idan Raichel entre en scène.
 
Les trompettes jazz soulèvent joyeusement un chant traditionnel éthiopien, les notes d'une clarinette klezmer s'infusent de poésie arabe, se fondent entre les sonorités du dialecte yéménite et celles d'un psaume en hébreu biblique, avant de retrouver les sons plus typiques de la musique pop. Au gré des paroles, les langues s'allient et se délient, réunies dans un son unique, incroyablement riche et surtout résolument israélien, englobant dans ses inspirations les dédales culturels d'une société aussi plurielle que fragmentée. 

Il est courant que les artistes dédient une chanson à Gilad Shalit lors de leurs concerts, mais celui-là était un peu particulier. Quatre ans déjà, jour pour jour. Nous avions entendu la nouvelle à la radio avec Raphaël, en vacances en Israël, un peu abasourdis, sans être surs d'avoir bien compris. C'était avant la guerre du Liban en 2006. Mickael Jackson était encore en vie, Barack Obama n'était qu'un sénateur inconnu de l'Illinois.  

"Ne laisse pas ta voix s'étrangler, ni couler une larme. La porte va s'ouvrir, il la franchira avec fracas, quand ils reviendront vers leurs frontières..."

Quatre ans complets ont passé depuis l'attaque du Hamas et l'enlèvement de Gilad en territoire israélien. Le blocus de Gaza est maintenant très largement levé, mais les négociations sont au point mort. Tel est le poids de l'échec: 71% des Israéliens se déclarent aujourd'hui prêts à libérer des terroristes en vue d'un échange. Le dilemne, pourtant, reste terrible (j'en parlais précédemment ici, et ). Isolé, loin de tout et paradoxalement si proche, se doute-t-il seulement que les gens ici se lèvent pour chanter à sa libération?



12 juin 2010

"A la recherche de la nouvelle star"


Je bosse au café vendredi et découvre avec soulagement les images de la gay pride lorsque la présentatrice annonce un flash-info spécial au milieu de l'après-midi. Sur les écrans de l'hôpital, des ballons, des bulles de savons, une fête de plage, et le drapeau israélien mêlé aux fanions arc-en-ciels... Dans les rues éclatantes de Tel Aviv ont défilé 100,000 personnes - 1.5% de la population du pays! - dans une ambiance aussi exubérante que déjantée. Religieux, laïques, juifs et arabes, homos et hétéros, une tranche de ville répondait à l'appel des associations et marchait aussi en mémoire de trois jeunes assassinés l'an dernier lors d'une attaque à l'arme automatique contre un centre d'ados rue Shenkin¹.

Dehors, Jérusalem s'enfonce déjà dans une caractéristique torpeur langoureuse. Les quelques chats aventureux du campus s'extraient de leurs coins ombragés, s'étirent sous un ciel bleu profond avant de se lancer en quête d'une proie. Les passants se pressent, sortent des derniers magasins qui ferment, hèlent un taxi aux prix rehaussés par l'absence de transports urbains. Je plaide ma cause à l'un d'entre eux, un vieux conducteur arabe, qui finit par accepter de me déposer chez moi en ne m'arnaquant que d'une somme symbolique. Seulement parce que "Zinédine Zidane, c'est un Français quand même..." - d'ailleurs il a une photo de lui dans la voiture, retenue par un trombone déformé contre une croix en bois d'olivier.

Le Mondial a commencé, dans l'indifférence générale. En 2008, les bars de Jérusalem explosaient de joie à chaque but de la Turquie contre l'Allemagne mais nous manquons un peu de nations amies à soutenir semble-t-il. Et puis, de toute façon, le foot est en compétition avec la nouvelle saison de "Koh'av Nolad", la version locale de la star academy.

Contre toute attente, c'est de là que vient la surprise de la soirée. Parmi les concurrents insipides, il y a une jeune fille un peu timide qui parle avec un fort accent arabe, qui vient d'un tout petit village dans le nord, et qui chante en hébreu. Quand elle choisit d'interpréter "Hatishma koli" (Entends ma voix), une chanson associée par tous ici au désastre de la navette Columbia et à la disparition d'Ilan Ramon, et d'y ajouter ses propres sonorités orientales, elle s'approprie soudain un morceau d'israélianitude concentré. Elle est très émue, le public et les juges aussi. Une jeune arabe pourrait bien être la "nouvelle star" d'Israël à la fin de cette saison. Une vrai bouffée d'air. Ces derniers temps, Moyen Orient commençait à trop rimer avec Moyen Age...

1. Shenkin - c'est LA rue de Tel Aviv. Ou plutôt la rue des années 90/2000 dans "la bulle", le surnom, affectueux (ou grinçant selon les sujets) donné par les Israéliens au coeur de Tel Aviv. Devenue le symbole de la gauche bohème, elle est au centre du film "The Bubble" d'Eytan Fox, à voir si ce n'est pas déjà fait!


3 juin 2010

"Nous n'avons pas d'autre choix"


La semaine dernière, vendredi matin. Entre les tentes et les provisions, nos sacs entassés dans le coffre de la jeep s'entrechoquent à chaque tournant. Discussions entre copains sur la route de Galilée, nous remontons la route 90 à travers les territoires palestiniens. Trois heures pour refaire le monde sans parvenir à nous défaire de cette impression d'avancer tel un état funambule, seul à l'heure de tous les dangers.

Au croisement après le checkpoint, un vendeur de pastèques gesticule sur le bord de la route. Cinq pour 20 shekel (4.5€), on en stocke toute une cargaison. L'air conditionné les maintient fraiches pendant que nous descendons vers l'entrée des sources du mont Tabor. Nous poursuivons encore vers le nord, traversons les collines à travers champs à la recherche d'un bosquet d'eucalyptus indiqué sur la carte, et dépassons les villages arabes au loin, dont les gamins mordus de foot trépignent déjà d'impatience en attendant la diffusion du Mondial. Les toits sont couverts de drapeaux, à chaque maison un pays. Les mollets lacérés par les épines des chardons, nous nous frayons ensuite un chemin vers les restes du ruisseau déjà tari, parmi les cactus et autres piquantes créatures végétales sur les collines asséchées.

Toutes les photos sont d'Ido, mon appareil ayant rendu l'âme quelque part sur la route vers Nahal Amud. 
Pour les voir en grand, il faut cliquer!

Dans un champ de paille coupée, nous organisons un campement, allumons un feu, protégé par une muraille de pierre plates pour contenir ses étincelles. La voix lactée éclaire la nuit noire alors que nos légumes finissent leur cuisson sous les braises, bercés par les grincements des arbres qui s'effleurent et se frottent de leurs branches feuillues. La forêt palabre. Au petit matin, Ido grille nos tomates cuites par le soleil dans une chakchouka au goût fumé pendant que j'avale sous un cèdre un bouquin de Murakami. "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" - on ne saurait trouver plus adapté à notre situation...

La radio parle d'une flottille internationale en route pour Gaza, nous y prêtons à peine attention tandis que nous longeons le lac de Tibériade pour accéder au Golan et ses cascades d'eau pure. Entrés sur la réserve de Yehudiya, nous rencontrons un caméléon peu farouche, et une végétation luxuriante, aux antipodes de la désolation désertique de la veille. Lors du retour vers Jérusalem, la conversation reprend sur les mêmes sujets.

- "Le moment venu, nous ne pourrons compter que sur nous même."
- "Nous n'avons pas d'autre choix, nous devrons être plus forts."
- "Et surement essayer d'être plus justes, aussi..."

Une semaine a passé. Si la perspective d'une guerre s'éloigne avec les jours qui passent, la crise ne fait que commencer. Les décisions du gouvernement et de l'armée sont loin d'être toutes justifiables, certaines furent même inconsidérées. Il eut fallu que les choses se déroulent différemment, mais prétendre que le bateau turc transportait des humanitaires pacifistes est une vaste tartufferie. Le Hamas peut se gausser, son plan aura bien fonctionné. Voici la seule démocratie de notre région de nouveau accusée, jetée à la vindicte populaire. Le pire des scénarios, comme souvent, est réalisé.