20 avr. 2010

"Rave Party Bio dans Makhane Yehuda!"


Lundi soir à Jerusalem. La ville hisse ses drapeaux. Perchée sur un lampadaire, une jeune fille souffle des bulles de savon attrapées au vol par des enfants dans le centre piéton. Douze torches ont percé les ténèbres sur le mont Herzl et nos fantômes s'en retournent aux ombres. Une foule bigarrée sort dans la nuit, on se retrouve, on se mélange, l'heure est à la fête! Une joyeuse marée humaine descend les rues pavées et à chaque feu d'artifice sursaute un instant puis sourit, enchantée par ces pluies de lumières colorées.

Dans le shouk de Makhane Yehuda était promise une "fête bio". Aux petites heures du matin, la musique électronique s'y mixe avantageusement avec les sons d'instruments plus traditionnels, l'arak¹ coule à flots, la jeunesse israélienne libérée danse dans les allées au clair de lune. Un foul² au coriandre, très salé mais sympathique une fois noyé dans le jus des citrons du bar, circule tandis que dans les échoppes de bonbons chimiques des ruelles attenantes font fortune sous l'oeil passablement envieux des soldats de garde.

De jour, entre harangues, cabas débordants de légumes et odeurs de houmous...

... et de nuit, entre notes aux accents Klezmer, musique aborigène et electro débridée.

Le soleil pointe presque, Israël rentre dans sa 63ème année! Par un habile jeu de phonèmes, le mot d'indépendance - "Atzmaout" - prend en Hébreu un sens plus profond. Sa racine³ simple - "Etsem" - désigne la substance, l'essence même des choses. Sa forme adjective - "Atsum" - désigne l'incroyable, le puissant, l'immense, comme pour mieux souligner ce prodigieux sentiment d'exister...


1. Arak - l'alcool de la Méditerranée orientale, distillé à partir des graines d'anis vert de la région.
2. Foul - un plat de fèves juste saisies au cumin et ensuite cuites à grande eau.
3. Racines - comme toutes les langues sémitiques, l'hébreu se construit avec un alphabet de consonnes qui forment une base de racines, le plus souvent à trois lettres. Le jeu des voyelles et préfixes transforme ensuite le nom en adjectif, en verbe, en adverbe...

17 avr. 2010

"Tel Aviv est bleue"


Il est trop tôt quand le réveil sonne vendredi. Au son de l'appel d'un muezzin dans le lointain, Jérusalem s'éveille. Dans le bus pour Tel Aviv, les sons nostalgiques d'Avishai Cohen peinent à éclaircir la météo de mon esprit. Notre armée est aussi baroque que la société qu'elle vient défendre. Un joyeux tohu bohu où tout se perd, se retrouve, se discute - mais les mois passent, les possibilités se réduisent et je suis toujours sans affectation. Mes réflexions sombrent dans les tons d'un camaïeu vert olive.

Je me plonge dans mon livre avant de laisser les petites lettres noires se mélanger et courir seules sur le papier, guider mon regard au dehors vers le labyrinthe bleu et blanc des drapeaux de l'autoroute. Ils sont partout, sur les voitures, les vélos, les poussettes. Chaque journal en fournit un avec le supplément du weekend. Les oxymoriques journées de Yom HaZikaron¹ et de Yom HaAtzmaout² approchent. Des silences assourdissants à l'appel des sirènes lundi éclatera plus exubérante encore, triomphante presque, la joie simple d'exister. Deux journées aussi opposées que complémentaires pour qu'Israël fête 62 ans d'une histoire faite d'amour et de ténèbres.

Les tours de Tel Aviv apparaissent à l'horizon comme un mirage inexplicable. Une ville comme un aimant, aussi irrésistiblement attirante d'insolence que repoussante de saleté. Un royaume d'immeubles à l'occidentale et de constructions Bauhaus resplendissantes de blancheur sous son soleil, une cité bohème au bord de l'eau turquoise. Une métropole orientale aux lignes épurées, imparfaite, mutine sous le vent de la Méditerranée. Une meute de chats s'attaque à un cageot orange de nèfles printaniers oubliés contre un mur décrépit de la station centrale.

Tel Aviv est bleue. Une fois les pieds dans son sable frais, bercé par le ressac, l'esprit s'évade et tout entier s'absorbe dans l'écume de ses vagues. Les pensées salées se perdent dans la mer mais shabbat approche, et tout les transports s'apprêtent à s'arrêter. Déjà il faut rentrer.

Comme deux facettes d'une même personnalité, deux villes s'apaisent mutuellement. Le dernier bus remonte les collines verdoyantes, toussote, cahote, crachote dans les montées, rugit à chaque accélération. Retour aux pierres envoutantes de Jérusalem, au noir profond des manteaux des Haredim, aux peaux brunes de henné des orientales de l'Est. Aussi opposées que complémentaires, une fois encore.


1. Yom HaZikaron - le jour du souvenir en l'honneur des presque 23,000 soldats de Tsahal tombés au combat pour la défense d'Israël depuis 1948 et des milliers de civils israéliens victimes d'attentats terroristes.
2. Yom HaAtzmaout - la fête d'indépendance de l'Etat d'Israël (c'était le 15 mai 1948), fêtée chaque année selon le calendrier hébraïque.

11 avr. 2010

"Bulles d'Orient"


Je profite, une fois n'est pas coutume, de ces pages bloguesques pour vous faire découvrir ma nouvelle trouvaille du net. C'est un projet à trois mains né de l'imagination fertile d'un écrivain perse, du talent d'un dessinateur arabe et du support d'un éditeur juif. Des bulles d'Orient au parfum de jasmin aussi doux que l'histoire qu'elles racontent est amère, mais pleines d'espoir. Ca s'appelle "le paradis de Zahra" et ça se trouve ici.

10 avr. 2010

"Comme la balade d'une mer salée"


Aux petites heures du matin, la chaleur se fait déjà suffocante. Passé le checkpoint, le panneau pointe vers le sud et indique: -417 mètres - le point le plus bas du globe. Sous ses cristaux de sels scintillants, la mer Morte est turquoise, luisante tandis que ses vapeurs se dispersent à tous vents. Enveloppée de sa brume salée, elle ronge encore un peu ses plages désertées.

Dépassés par une troupe d'ibex bondissants, nous commençons l'ascension des sources d'Ein Gedi. Les flots turbulents des cascades ondulent et tranchent les monts rouges de Judée d'une cicatrice vert tendre, signe de vie. Le jeune David s'y serait caché de Saül et la légende raconte qu'une araignée aurait alors dissimulé sa cache en tissant pour lui une toile protectrice. Entres jujubes et acacias, entourés d'un paysage lunaire, caillouteux, la piste s'élève entre chemins de poussière et marches millénaires.

Sur les sentiers bibliques d'Ein Gedi, de la mer Morte aux gorges encaissées des montagnes de Judée... Pour voir les photos en grand il faut cliquer!

Commence alors la longue descente vers le flanc opposé du ravin et le sentier moins arpenté de Nah'al Arugot. Le chemin s'enfonce dans les creux de la faille rocheuse et serpente entre ses blocs pierreux. Entre deux roseaux croasse une grenouille, bercée par le délicat bruissement des herbes folles. Les dunes semblent très loin, les libellules ouvrent la voie.


D'un réservoir d'eau à l'autre, nous glissons sur les rochers polis par le courant jusqu'à enfin la trouver. Après une journée de marche, nous arrivons finalement à la cascade cachée, émouvante de majesté. L'eau surgit du roc, fraîche, limpide, si pure qu'on la boit à même la paroi...

7 avr. 2010

"En raison d'un ordre de censure..."



"En raison d'un ordre de censure, nous ne publions pas ce que nous savons. En raison de notre paresse, apathie et foi aveugle en l'institution militaire, nous ne savons rien du tout."

Même la satire a un goût acide. Le journal Maariv titre aujourd'hui en grandes lettres rouges. A gauche, Ha'aretz s'insurge. Yedioth Ah'ronot, le quotidien le plus lu d'Israël se rebelle à sa droite. Nos journaux sont censurés, ils s'estiment lésés dans leur bon droit et ils ont peut-être raison. Avant d'ouvrir les tirages du jour, personne n'était jusqu'ici au courant. Nous buvons le jus de complot qui transfiltre des lignes noires des journaux d'aujourd'hui comme du petit lait.

Elle s'appelle Anat Kam, elle était soldate de jour, et journaliste de nuit. Une Clark Kent inversée, en version hébraïque et digitalisée. Son uniforme lui a permit de mettre la main sur des informations opérationnelles classifiées - photographiées, manipulées, recopiées puis publiées par le journal Haaretz. Entre trahison et devoir d'informer, la ligne est parfois ténue... et vite franchie. Elle est aux arrêts. Un journaliste du plus grand journal israélien s'est lui exilé à Londres.

Mais voilà, impossible de vous en dire plus. La censure militaire certes est inévitable dans un pays aussi exposé qu'Israel, et nos médias sont férocement critiques mais responsables. Nos journalistes sont eux-mêmes soldats 40 jours par année. Nous sommes un petit pays, les gens parlent, les secrets s'ébruitent, mais il n'est jamais venu à personne de contourner le censeur militaire. Il n'y avait aussi jamais eu d'abus. Jusqu'à aujourd'hui. En raison d'un ordre de censure donc, je ne vous raconterais pas ce que j'ai lu mais je n'en pense pas moins...

5 avr. 2010

"Gilad est toujours en vie..?"


Les rires des enfants résonnent dans les parcs de Jérusalem, saisie en cette semaine festive par une estivale insouciance. Une boîte de matsa sur le coté, les adultes grignotent et palabrent à l'ombre d'un pin, les gamins poursuivent un cerf-volant. Quatre bambins espiègles, pieds nus, dégringolent d'un toboggan et leurs papillotes se soulèvent comme pour freiner leur descente. Un peu en retrait, un garçon religieux discute avec une jeune fille orthodoxe assise à l'autre extrémité d'un banc public, observés par une petite soeur qui sans nul doute s'empressera d'aller tout rapporter à ses parents.

Un groupe de sportifs les dépasse, ils déchiffrent en courant la bannière qui surplombe leur têtes. L'affirmation ici célèbre, assénée par sa famille depuis bien trop longtemps s'est transformée en une interrogation terrible.

"Gilad est toujours en vie...?"

La télévision diffuse depuis la semaine précédant Pessah' une nouvelle série. Elle s'appelle "H'atufim" - les otages - et raconte la libération de deux soldats israéliens après 17 ans de captivité en Syrie. Certains détestent, d'autres, j'en fait partie, adorent. Personne, c'est certain, n'est indifférent. Trop proche cette réalité, trop vraie cette histoire.

Du reste, les publicités sont régulièrement entrecoupées de ce clip, glaçant comme un dernier avertissement. Le visage de Gilad Shalit peu à peu se mue en celui de Ron Arad, disparu en 1986. Il ne reviendra plus, c'est admis. Je me rappelle son visage poupon sur un tract à l'école primaire, puis barbu et marqué par l'isolement, au local d'un mouvement de jeunesse parisien. Mais Gilad, lui, reviendra-t-il?

Gilad Shalit était sur le premier poster des campagnes pour sa libération en compagnie d'Ehud Goldwasser et Eldad Regev. Leurs corps ont été récupérés en 2008 lors d'un échange de prisonniers au court duquel le Hezbollah a également reconnu avoir perdu le corps de Ron Arad. Le clip conclut: "il nous est interdit de perdre du temps".

Au sommet de l'arbre qui surplombe le parc, sur les antennes des voitures à quelques pas, noués aux boucles des sacs des étudiants sur l'herbe, les rubans s'enroulent sur eux-mêmes et se tortillent dans la brise, torturés par les jeux d'un vent malicieux. Ils appellent à sa libération. L'étoffe au début presque dorée a pâli au soleil, son jaune est devenu fade. Dans tout le pays depuis plus de trois ans, balayés par le sable et la poussière, ils perdent doucement leur éclat.