11 janv. 2011

"Je le jure!"

 
Je siffle à tue-tête dans la nuit obscure, ma garde touche à sa fin. J'ai ressassé l'anthologie des Beatles, épuisé mon répertoire de rock français, fredonné les classiques de Shlomo Artzi, déclamé des alexandrins dans la radio jusqu'à déclencher l'ire de l'officier en charge du centre de commandement, claqué des dents et vérifié par la même occasion que l'activité sportive de mes mâchoires ne réchauffe pas du tout, calculé que 4 heures ne font que 14400 secondes, mais où est la relève?! Le chant des coqs dans les fermes des environs accompagne le lever du soleil. Un lézard explore les recoins du tissu intérieur de mon casque posé sur le sol. Les voilà enfin.
 
Je laisse tomber la veste de terrain chargée de ses gourdes d'eau et de thé, et de ses trois chargeurs complets. Les marines américains y insèrent 30 cartouches quand les soldats de Tsahal n'en utilisent que 29, une habitude héritée des heures critiques de la Guerre de Kippour. Ravitaillés par un pont aérien, affrontant un ennemi en surnombre, l'utilisation unique de chaque chargeur - à l'instar de l'armée américaine - semblait alors une aberration.  Afin d'éviter le blocage du mécanisme, la solution trouvée fut simplement de ne jamais charger à pleine capacité. 
 
Quartier libre. Une heure de liberté complète avant de retrouver ma section en formation. Demain déjà, nous serons dispersées vers nos unités. Il faut rendre tout l'équipement de type "Beth"¹ à la base, avant la cérémonie de ce soir qui clôturera un mois d'entrainement. Chacune s'y prépare, nous rassemblons nos affaires, bouclons nos sacs, la tête chargée des débats qui ont hier agité la section.

A l'occasion d'une discussion de groupe avec nos officiers, les dissensions tues pendant ses premières semaines d'armées sont soudain apparues. Une partie des soldates, immigrées d'URSS dans leur enfance, trouve la formulation du serment qu'elle prononceront inadaptée. Chrétiennes pour la plupart, elles ne voient aucune raison de promettre fidélité à toutes les autorités de l'Etat. L'autre partie, soutenue par les sabras² en majorité, est agressée par leur refus et les accuse en retour de rejeter leur seul pays d'accueil alors que la judéité d'un de leur parents les avait rendues apatrides à la chute de l'URSS. Le ton monte. Les filles d'origine éthiopienne, dont une partie seulement est née en Israël, les observent, choquées. Leur communauté est victime de réelles discriminations. Elles s'étonnent de tant de virulence sur ce qui n'est à leurs yeux qu'un détail. "Cet état vous a accueilli, comme il m'a extirpé d'un camp au Soudan ainsi que nos parents, et les grands-parents d'autres ici, où ailleurs seriez-vous allées?", dira Noah.

Les regards se tournent vers moi. Elles se taisent, parce que ma situation, et celle de quelques autres "soldates seules", force leur respect. Nous sommes arrivées ici sans nos parents, du Brésil, de France, de Martinique et des Etats-Unis. Je ne peux que comprendre l'amertume face aux discriminations, peut-être même l'impression d'un espoir déçu. Je dévisage ces jeunes israéliennes qui n'ont jamais vécu la diaspora et n'ont aucune idée de ce qu'implique l'appartenance à une minorité. Cet état est évidemment imparfait, c'est son essence même. Nous avons la possibilité d'influer sur ses destinées, une opportunité dont nos grands-parents ne pouvaient que rêver. En vérité, nous sommes le produit de leurs rêves.

"Par ce serment je jure de maintenir une loyauté sans faille envers l'Etat d'Israël, ses lois et ses autorités. Je déclare miennes, sans conditions et sans aucune réserve, les responsabilités de l'Armée de Défense d'Israël. Je promets de suivre les ordres donnés par mon commandement et de dévouer toutes mes forces, jusqu'à sacrifier ma vie, à la défense de notre patrie et la liberté d'Israël." 
 
Le drapeau monte le long du mat, claque sous les bourrasques de vent frais. Nous sommes trois soldates, chacune devant sa section, à saluer ses couleurs. Une par une, nous défilons devant nos officier, présentons nos armes. Mon tour arrive. Aucune hésitation, la voix légèrement tremblante d'émotion, je le dis.


"Ani Nishba'at! Je le jure!"

 
1 - Type "Beth": l'équipement de terrain. Il appartient à la base, les soldats le rendent à chaque fois qu'ils changent de base.
2 - Sabras: littéralement, le mot désigne en Hébreu la figue de barbarie. C'est le surnom donné aux israéliens nés en Israël, je vous en parlais déjà dans ce post là.

3 commentaires:

Manuel a dit…

Yafe meod, c'est bientot fini les classes?

Perle a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Jean Michel a dit…

Un texte qui donne à réfléchir...intéressante parenthèse sur la diversité de cette société Israélienne ou l'humain vient de société très diverse, certaines démocratiques et d'autres comme l'ex URSS ou les gens ont été enfermés dans un système dictatorial....peut-être que pour ces populations la démocratie de votre société sera plus dure à comprendre..le choc culturel doit être grand! possible que ces populations soit également les plus réceptives à la force?