24 mars 2011
"Un attentat?!"
Je préparais, entre deux trajets vers Beer Sheva et les bases du sud du pays, un post très différent. Un récit de trois jours de vie sauvage dans le cratère Ramon, la sécheresse, les tentes, le désert, la nature brute, les guitares au coin du feu, et le sable qui partout s'insinue. Ce blog, souvent, ne s'attache pas aux détails du réel. Au contraire, il veut transmettre des ressentis, des impressions qui accolées une à une tente de refléter le quotidien d'un Israël différent, loin des communiqués laconiques des agences de presse, loin de la politique de ce conflit qui imprègne partout notre quotidien. C'est certainement une des raisons qui rend la description des évènements d'hier après-midi difficile. L'actualité parfois nous rattrape, et alors, il faut agir. Agir vite, sans hésiter.
***
Mercredi, milieu d'après-midi, je sors de notre bureau à Jérusalem, en direction de la station centrale à quelques pas. A la jonction, le tramway me dépasse, flambant neuf. C'est la période d'essai, dans quelques mois les premiers passagers pourront enfin l'emprunter pour traverser un centre-ville entièrement rénové. Il a plu le matin, il fait frais - de façon inhabituelle pour la saison.
Boum.
Le bruit violent me secoue, le sol tremble. Le vent percute les passants, puis tout se tait. Dans la rue les gens se regardent, stupéfaits. "Un attentat? Tu sais si c'est un attentat? C'est une bombe!?" - aucune idée. J'entends les sirènes qui déjà hurlent dans le lointain, se rapprochent. Les vitres de l'autobus à ont volé en éclats, des secouristes convergent vers la scène où des corps jonchent la chaussée. Un soldat émerge du bus soufflé par l'explosion, annonce qu'il n'y a pas de morts restés à l'intérieur, demande aux civils de s'en éloigner.
Je m'arrête face au premier blessé que j'aperçois, allongé sur le bitume. La bombe était bourrée de petites pièces de métal, pour mieux tuer. Les éclats lui ont transpercé le cou, et ouvert l'abdomen. Une jeune fille maintient une pression sur ses blessures, recouvre son bras déchiqueté par l'explosion d'un manteau. "Je sais ce que je fais" me dit-elle, "il y en a d'autres". Je lève les yeux et croise ceux familier d'Aryeh, puis d'autres. Les secours arrivent, je récupère des gants distribué par un étudiant infirmier qui attendait l'autobus.
Sur le bord du trottoir, des enfants sont assis, le regard hagard. La plupart des blessés sont légers, en état de choc, couverts de sang. A l'arrêt d'autobus, des passants tentent de réanimer une femme âgée. "Elle n'a pas de pouls!", je commence un massage cardiaque, à même le trottoir. Un secouriste tente d'ouvrir une voie d'air, un autre vérifie que l'efficacité des compression, cherche un pouls artificiel. Chacun semble soudain connecté, les instants s'enchaînent dans un sourd ballet chaotique au rythme des sirènes, des hauts parleurs et des cris. A l'ordre d'un paramédic, j'interromps le traitement, le temps de la transférer sur un brancard. Il faut évacuer, une rumeur évoque une possible deuxième explosion, la police déplace son cordon. Un autre secouriste me remplace, nos regards se croisent. Elle n'a presque aucune chance de s'en sortir.
Je cherche Aryeh dans la cohue et m'arrête devant un jeune garçon, ultra-orthodoxe, assis sur la route. "Tu es blessé?" - il hésite, non, tout va bien, enfin si, mais pas vraiment. Il arrivait juste à l'arrêt d'autobus quand la bombe a explosé. Son dos lui fait mal, il me répète les mêmes phrases, encore et encore, me demande pourquoi. Pourquoi? Il veut passer un coup de téléphone, je lui tend mon portable. Il n'y a pas de réseau. Pour empêcher la détonation d'une charge à distance, la police brouille les communications. Un chauffeur de taxi se propose, le hisse dans sa voiture pour l'emmener à l'hôpital, lui promet de le ramener chez lui après si tout va bien.
La zone est en travaux, on y construit la nouvelle gare de train de Jérusalem, en sous-sol. Des arbres séparent les deux cotés du trottoir, plantés de part et d'autre d'un passage piéton. A même la terre, un des blessés grièvement brûlé, s'est enflammé et telle une torche humaine a couru loin du bus, pris de panique, avant de s'effondrer. Aryeh et plusieurs autres secouristes vérifient ses membres, cherchent l'origine du sang sur ses vêtements. Il vivra. Nous le déplaçons sur une planche rigide, pour l'évacuer au plus vite sans risquer d'abîmer sa colonne vertébrale. Je lève la tête. Le soleil pointe entre les feuilles, les gens se poussent pour apporter leur aide, offrent de l'eau, se prêtent les téléphones portables militaires qui eux fonctionnent, s'étreignent, se consolent.
En quelques minutes seulement, tous les blessés graves sont évacués. Mes officiers émergent de la foule, inquiets. L'explosion a fait vibrer tout notre bâtiment, ils sont partis à notre recherche, venus mesurer à leur tour l'étendue du désastre. Les échos des journalistes étrangers qui rapportent en direct les évènements ne parlent pas de morts, j'entretiens l'espoir que la vieille dame a survécu. Une heure plus tard, les communiqués se précisent, le nombre des blessés augmente. La radio militaire confirme son décès. Depuis notre bureau, nous entendons le va-et-vient des sirènes, le bourdonnement qui doucement s'éteint. La télévision annonce son cortège de catastrophe, rajoute qu'un missile Grad est tombé à Ashdod, une roquette Katyusha à Beer Sheva. Dans le sud les habitants se calfeutrent dans les abris, les écoles et universités suspendent les classes.
A la tombée de la nuit, j'émerge du bâtiment. La pluie a lavé les pavés, l'air humide est frais. Les camions, surmontés des antennes satellites des radios, sont garés sur le trottoir. Je m'arrête à la même jonction, et le tramway me dépasse. Les piétons traversent, dans une apparente nonchalance, feignant d'oublier ces instants dramatiques, à peine quelques heures plus tôt. Les arrêts d'autobus sont pleins. Plus aucune trace de la terreur de l'après midi. Je souris. Il n'ont pas réussi à nous faire peur, la vie continue.
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8 commentaires:
Tu racontes magnifiquement bien cet instinct de (sur)vie inherent a la culture israelienne. Mais tu descris aussi parfaitement bien l'horreur au quotidien et ces chocs dont l'echo resonne loin et tres longtemps.
Chez nous au bureau, tout le monde s'est tu. On faisait tous la gueule. E. m'a dit "oui c'est sur, on va a nouveau entrer a gaza" et j'ai repense a la guerre il y a deux ans, quand ils sont tous partis et que l on priait pour eux en lisant les infos.
bon courage a toi.
ton temoignage est bouleversant. on a la chance de t'avoir.
Pas facile de s'imaginer ta vie à toi d'où je suis moi, loin, très loin de tout ça... malgré la distance et les différences, tes récits sont prenants. continues à écrire, à donner des nouvelles, et surtout prends soin de toi, qu'on puisse aller prendre un café un de ces 4, et oublier que tout ça est bien réel l'espace de 5 minutes
cm
Bouleversant. Je partage autour de moi.
Perle,
j'ai envoyé un mail à un blog que je lis de temps en temps, Chroniques en Lignes, qui a publié une partie de votre texte, qui m'a beaucoup touché.
http://israel-chronique-en-ligne.over-blog.com/article-un-attentat-par-perle-70428485.html
Et surtout continuez d'écrire!
De France c'est vrai qu'il est difficile de comprendre les extrémismes des uns ou des autres...tous ces attentats, cette haine mutuelle (Les kamikazes, les extrémistes de Hébron)....ta manière d'écrire est rafraichissante, une résistante qui me parait avoir les pieds sur terre et qui ne cède pas à la facilité de la haine de l'autre...après je comprend également les familles palestiniennes et Israéliennes qui ont perdues des proches dans des bombardements et des attentats....leurs visions de l'autre doit être d'une noirceur terrifiante.... un des problèmes à ce que j'ai lu c'est les check-point, point de friction important par les contrôles des soldats et qui à ce que j'ai lu est souvent le seul contact de la population palestinienne avec des israéliens ...c'est pas le top pour le relationnel!! lol
J'aime ta manière de rendre compte!
Jean Michel, tout d'abord bienvenue sur ce blog et merci pour vos réactions. Je ne suis pas sure de comment réagir à ce commentaire, qui me semble pourtant appeler une réponse.
Rien ne peut justifier le terrorisme. La folie meurtrière du terroriste, qu'il soit kamikaze ou non, n'est certainement pas explicable par l'expérience du checkpoint. Si désagréable qu'elle puisse être. L'assassinat d'enfants dans leur sommeil, le massacre d'adolescents dans une bibliothèque, le meurtre de civils dans un bus - ces choses ne sont tout simplement pas justifiables, pas explicables, dans aucun cas de figure.
Je tente effectivement de me garder de toute généralisation - non, les Palestiniens, ne sont pas dans leur ensemble responsables des attentats terroristes. Cependant gardons nous de vouloir faire passer un symptôme pour une cause. La haine du Juif et au delà d'Israël chez les Palestiniens, parfois manipulée à l'extrême jusqu'au passage à l'acte, a des sources autrement plus profondes et complexes que la simple présence de soldats aux checkpoints de Cisjordanie.
Affirmer le contraire revient à nier l'antisémitisme primaire et généralisé du monde arabe, l'éducation des enfants qui nie l'histoire et l'existence même de l'autre, l'embrigadement des adolescents, la pression des gouvernements arabes, la perpétuation du souvenir d'une humiliation mythifiée. Faut-il rappeler que le terrorisme sévissait contre les populations juives avant même la création de l'Etat d'Israël?
Sans haine, certes. Mais sans naïveté non plus.
Explication convaincante. Je l'intègre à ma réflexion, merci de la réponse. J'essaie vraiment de me faire mon idée sur cette région mais c'est difficile car les sites sur le net son tellement propagandiste dans un sens comme dans l'autre, il y a tellement d'instrumentalisations dans les propos...je suis méfiant!
:)
Effectivement, la tentation de ne voir Israël qu'à travers le prisme du conflit mène aux pires errance, sur les sites comme dans les écrits publiés sur le sujet.
Ce blog se tient au plus loin possible de la politique dans l'espoir de faire passer une vision subjective tout à fait assumée - non pas du conflit - mais d'Israël. J'essaye de transmettre un peu de son quotidien presque normal, de la vie de ses jeunes religieux ou laïques, civils ou soldats, de sa culture, de sa musique, et de ses histoires. Parfois, le conflit me rattrape - mais c'est le propre de la vie dans ce pays.
Je répondrais en tout cas avec plaisir à vos commentaires sur ce blog, ou sur le mail de Carnets d'Aliyah.
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