Il est trop tôt quand le réveil sonne vendredi. Au son de l'appel d'un muezzin dans le lointain, Jérusalem s'éveille. Dans le bus pour Tel Aviv, les sons nostalgiques d'Avishai Cohen peinent à éclaircir la météo de mon esprit. Notre armée est aussi baroque que la société qu'elle vient défendre. Un joyeux tohu bohu où tout se perd, se retrouve, se discute - mais les mois passent, les possibilités se réduisent et je suis toujours sans affectation. Mes réflexions sombrent dans les tons d'un camaïeu vert olive.
Je me plonge dans mon livre avant de laisser les petites lettres noires se mélanger et courir seules sur le papier, guider mon regard au dehors vers le labyrinthe bleu et blanc des drapeaux de l'autoroute. Ils sont partout, sur les voitures, les vélos, les poussettes. Chaque journal en fournit un avec le supplément du weekend. Les oxymoriques journées de Yom HaZikaron¹ et de Yom HaAtzmaout² approchent. Des silences assourdissants à l'appel des sirènes lundi éclatera plus exubérante encore, triomphante presque, la joie simple d'exister. Deux journées aussi opposées que complémentaires pour qu'Israël fête 62 ans d'une histoire faite d'amour et de ténèbres.
Les tours de Tel Aviv apparaissent à l'horizon comme un mirage inexplicable. Une ville comme un aimant, aussi irrésistiblement attirante d'insolence que repoussante de saleté. Un royaume d'immeubles à l'occidentale et de constructions Bauhaus resplendissantes de blancheur sous son soleil, une cité bohème au bord de l'eau turquoise. Une métropole orientale aux lignes épurées, imparfaite, mutine sous le vent de la Méditerranée. Une meute de chats s'attaque à un cageot orange de nèfles printaniers oubliés contre un mur décrépit de la station centrale.
Tel Aviv est bleue. Une fois les pieds dans son sable frais, bercé par le ressac, l'esprit s'évade et tout entier s'absorbe dans l'écume de ses vagues. Les pensées salées se perdent dans la mer mais shabbat approche, et tout les transports s'apprêtent à s'arrêter. Déjà il faut rentrer.
Comme deux facettes d'une même personnalité, deux villes s'apaisent mutuellement. Le dernier bus remonte les collines verdoyantes, toussote, cahote, crachote dans les montées, rugit à chaque accélération. Retour aux pierres envoutantes de Jérusalem, au noir profond des manteaux des Haredim, aux peaux brunes de henné des orientales de l'Est. Aussi opposées que complémentaires, une fois encore.
1. Yom HaZikaron - le jour du souvenir en l'honneur des presque 23,000 soldats de Tsahal tombés au combat pour la défense d'Israël depuis 1948 et des milliers de civils israéliens victimes d'attentats terroristes.
2. Yom HaAtzmaout - la fête d'indépendance de l'Etat d'Israël (c'était le 15 mai 1948), fêtée chaque année selon le calendrier hébraïque.
7 commentaires:
Très impressionnée par votre plume! Néanmoins je peine à comprendre comment une étudiante aussi douée que vous se laisse entrainer vers un service militaire dans un pays en guerre.
Comme vous le dites, nous sommes un pays en état de guerre latente où le service militaire est obligatoire. Il me semble que m'y soustraire au prétexte d'avoir passé l'âge de quelques mois est dans ces conditions moralement douteux.
perlette... comme t'écris bien ! c pas des sciences que t'aurai du faire :-p
bises de cuenca
jeanne mance
J'adore votre façon d'écrire.
Votre plume est douce, légère et poétique.
:) merci!
bravo. c'est tres beau.
Je suis sure que tu apprecieras cet article :
http://voyages.liberation.fr/les-duels-de-lete/jerusalem-tel-aviv-les-soeurs-ennemies
il avait ete publie il y a quelques annees mais j'ai garde le lien parce qu'il est tres juste je trouve...
Comme les personnes précédentes j'avoue que vous avez un don pour l'écriture...belle phrases, limpidité de ton...un très beau texte, bravo!!
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