3 juin 2012

"Insh'Allah"

 
Du toit de l'hospice autrichien, on surplombe la vieille ville. Au soleil couchant, la coupole du Dôme du Rocher est réfléchie par les vitres des façades du quartier musulman. La lumière s'adoucit, l'agitation effervescente de la rue s'estompe, le vent est frais. Une voix rauque appelle à la prière, reprise derrière nous par les minarets des collines de Jérusalem Est. En contrebas, entre les échoppes arabes - délicatesses au miel et layettes hideuses aux couleurs pastels - une file de chapeaux noirs se fraye un chemin parmi une foule de touristes bigarrée. Sous l'oeil morne de soldats en uniforme vert khaki, ils se pressent vers le mur des Lamentations. 

On parle d'Israël, des territoires, de la folie du présent devenue trop quotidienne pour troubler ceux qui le vivent sans pour autant cesser d'intriguer ceux qui pour une première fois s'y frottent. Quant au journaliste, il est explorateur, un peu témoin, un peu partie peut-être, et se fait parfois conteur. Une histoire juste, ou souvent plutôt qui sonne juste. Car ici tout est affaire de choix, et les mots ne dérogent pas à la règle. Le hasard, lui, se fait parfois malicieux pour nous pointer ces choses qui précisément ne lui doivent rien... 

Et lorsque les premières étoiles pointent, je laisse Brice reprendre un bus vers Ramallah et remonte vers la porte de Jaffa et ma Jérusalem à l'Ouest. Dans le lointain la sonnerie claire d'un shofar annonce que "shabbat sort" - comme se formule en Hébreu. La ville reprend vie, sort ses terrasses, et monte un podium en son coeur. L'été annonce logiquement le retour du printemps israélien. Et plus question de cottage cette année. On parle toujours de justice sociale mais surtout de racisme, d'immigration, d'éducation et de santé publique, de corruption, et de ce mot tabou qui nous gêne tous: occupation. Est-ce pour ça qu'ils sont à peine quelques centaines, peut-être quelques milliers, à battre le pavé hiérosolymitain?

Alors que les colocs renoncent au jardin pour se joindre aux manifestants, je sonne à la porte de nos voisins arabes dont le verger fleurit parfume la nuit d'effluves de jasmin et de goyave. "Ah habibi, je ne pensais plus que tu viendrais..!" 

En Israël, les cerises sont moins sucrées, plutôt acidulées - un fruit inutile aux dires des maîtres de maison, trop heureux de s'en défaire. Les derniers restes laissés sur l'arbre ont été la proie des oiseaux, les noyaux dansent encore sur leurs tiges. Je dépose un pot de confiture rouge sombre, sauvé des petits déjeuners voraces du week-end. Les échos d'un défilé de jeunes israéliens idéalistes remplissent la cuisine d'une vieille hiérosolymitaine courbée à l'Hébreu fortement accenté d'Arabe, et dont le visage ridé s'éclaire. 

"Shabbat sort... Shavoua tov¹ habibi, et insh'Allah dans un mois nous auront des figues."

Si Dieu veut, donc. Il a bien intérêt à vouloir! Mais si pour les fruits on se résignera à s'en remettre au Très Haut, le reste est paraît-il entre nos mains...

1. Shavoua tov: bonne semaine, en Hébreu!

3 commentaires:

Justin a dit…

J'adore.

Maxence a dit…

Bonjour, je ne comprends pas, vous dites avoir eu des voisins arabes à Jérusalem ouest? En 2012?

Perle a dit…

Waouh ça faisait longtemps que quelqu'un avait commenté sur ce blog! Oui, jusqu'à l'année dernière, vivait un vieux couple palestinien chrétien dans l'une des maisons de l'ancien quartier "des maghrébins" (המערבים) à Jérusalem, à l'Ouest, près de l'entrée du complexe Mamila de la vieille ville. Ils ne sont simplement jamais partis de chez eux, et ont travaillé une grande partie de leur vie pour le couvent attenant au consulat américain.